Jusqu'où peut-on partager le leadership ?
31 mai 2018
Bien qu’il fasse couler beaucoup d’encre, le concept d’entreprise libérée reste peu appliqué car il nécessite un changement de culture radical : un management sans hiérarchie.
Rares sont les organisations qui s’aventurent à tester ce modèle d’autant plus que les premiers retours d’expériences sont parfois mitigés. La mise en oeuvre d’un management démocratique peut-elle répondre aux problématiques de beaucoup d’organisations ?
C’était la question centrale de l’événement du 31 mai dernier à la salle des fêtes du casino de Montbenon organisé par Céline Desmarais et François Gonin, les directeurs des MAS HSE et HCM et chercheurs à l’Institut IDE de la HEIG-VD. Au cours de cette demi-journée, des acteurs ayant expérimenté l’entreprise libérée ont témoigné devant un auditoire de plus de 130 personnes.
Monsieur Mehdi Berrada, premier orateur du jour, a rapporté son expérience au sein du Groupe Poult. En tant que CEO, il décide de prendre ce cap en 2007 avec un site de production témoin, puis étend le concept à l’ensemble du groupe en 2010. Contrairement à beaucoup d’idées reçues, libérer son entreprise ne consiste pas à nommer un Chief Happiness Officer ou installer un baby-foot dans la salle de pause. Pour lui, une entreprise est libérante lorsqu’elle responsabilise ses collaborateurs et révèle les potentiels individuels. Pour ce faire, l’organisation, les pratiques managériales, les modes d’évaluation, de rémunération et de recrutement doivent être repensés.
L’engagement du personnel dans ce processus dépend alors d’un élément clé : œuvrer dans un but commun. Et pour le trouver, il faut parfois « poser des questions qui paraissent spirituelles, ésotériques pour certains : pourquoi sommes-nous ensemble ? Qu’est-ce que nous avons envie de faire de grand ensemble ? ». Ce niveau de réflexion infléchit beaucoup de croyances personnelles et redonne du sens au travail. Enfin, autre facteur de succès d’un tel virement de bord : responsabiliser tout en donnant le droit à l’erreur.
Pour compléter cette présentation, Monsieur Marc Benninger, rédacteur en chef du magazine HR Today a mené une table ronde avec cinq experts : Sandra Dubouloz (maître de conférences, Université Savoie Mont Blanc), Anoucha Galeazzi (directrice, HR Systemics), David Matthey-Doret (consultant, Chemins de Traverse), Jérôme Chanton, (CEO, Kugler bimetal) ainsi que Mehdi Berrada.
Les questions, venues à la fois des participants et de la scène, portaient sur des aspects précis et pratiques de cette organisation novatrice. Pour n’en citer que deux :
Y a-t-il un type d’organisation ou un secteur qui se prête mieux à l’entreprise libérée ? La réponse est claire, toute entreprise, de toute taille, de toute activité peut se lancer. David Matthey-Doret précise cependant que « c’est un chemin qui sera individuel à chaque organisation et dont l’évolution sera adaptée à leur façon de voir la structure. »
Est-ce un système rentable ? C’est au tour de Jérôme Chanton de témoigner ; il s’est lancé dans l’aventure de l’entreprise libérée alors que sa société était au bord de la faillite en 2011. Depuis elle se porte bien mieux financièrement avec, dès la fin du 1er trimestre 2018, 14% de marge nette et 23% d’EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements). Seulement, si une entreprise le fait avec pour seul objectif la performance économique, Medhi Berrada garantit qu’elle court à l’échec.
La dernière partie de cet après-midi était consacrée à un world café. Au cours de deux sessions de vingt minutes, les intervenants se sont mêlés aux 130 participants installés sur 18 tables pour répondre aux deux questions suivantes : pourquoi mettre en œuvre un leadership partagé et comment faire ? Cette séance d’intelligence collective a permis de créer du lien et de réfléchir à des solutions concrètes pour transformer les organisations de chacun.
Au final, le concept d’entreprise libérée est-il réaliste ? Les intervenants du jour en sont convaincus mais il requiert du travail, de l’engagement et une envie de transformation authentique. Mehdi Berrada relève à ce sujet que souvent « les gens aimeraient changer, mais pas eux-mêmes, ils aimeraient changer les autres ». Or c’est certainement par soi qu’il faut commencer pour changer de paradigme.